mercredi 31 mars 2010

La pérennité de l'œuvre dans le temps

J'ai changé de marque d'encre. Comme vous le savez sans doute, j'utilise fréquemment de l'encre acrylique pour mes tons chairs. Et pour le tableau de "l'endormie", j'ai laissé tomber les Pébéo Colorex technics pour des encres acryliques Golden transparentes. Je suis très satisfait du résultat même si j'ai dû adapter un peu ma technique car les Golden sont beaucoup plus solides sur la toile et se gomment moins bien. En revanche, leur résistance à la lumière est garantie ce qui n'était pas le cas des Pébéo. J'ai un recul d'environ 15 ans sur ces encres (Pébéo) et je n'ai constaté aucun changement ni en couleur, ni en intensité. Cependant, sur le site de Pébeo, ils annoncent une assez bonne solidité à la lumière et ce n'est pas suffisant. J'ai besoin d'une extrème solidité à la lumière car j'espère que mes œuvres me survivront de nombreuses années. Je pense que c'est très important non seulement pour mon œuvre et pour moi mais aussi pour les clients qui acquerront ces œuvres.

Je voudrais lancer un appel à mes amis illustrateurs qui, du numérique passent au traditionnel en méconnaissant ces problèmes de conservation. Les encres pâlissent à la lumière et certains feutres aussi. Il ne faut pas confondre feutre permanents et couleurs solides à la lumière. Souvent, permanent est employé pour dire waterproof c'est-à dire indélébile, mais cela ne garantit absolument pas la solidité à la lumière.

Je me souviens d'avoir vu des planches originales de Plantu qui étaient dessinées au feutre Stabilo Stylist. De noir, elles viraient au marron puis au violet pour finir par disparaître complètement. Quel dommage.

Je me souviens également de John Harris, un illustrateur de SF anglais, qui parle dans son livre "Mass", du désespoir qu'il a ressenti quand il s'aperçut plusieurs années après avoir peint d'immenses tableaux à l'encre, qu'il disparaissaient peu à peu! Moi-même j'ai fait des tests de durabilité dans le temps de nombreux feutres et stylos à billes. Car l'encre des stylos à bille n'est pas du tout solide, sauf certaines marques comme le V BALL de Pilot par exemple. L'encre de chine est très solide car elle est constituée de carbone issu de noir de fumée. De manière générale il faut utiliser des encres pigmentées, les fabricants d'imprimantes ont fini par le comprendre.

Mais il n'y a pas que les couleurs qui soient importantes pour les œuvres sur papier mais également l'acidité du papier ou de l'encadrement. Le papier acide jaunit avec le temps pour finir par se dégrader rapidement. Ceci est souvent dû à la présence de bois dans les fibres du papier. Les papiers pur chiffon sont une bonne garantie de durabilité. Mais la meilleure solution est de faire des tests. Il y a quelques années, j'ai acheté un feutre testeur de ph (ph tester pen). Il restait violet quand le papier était neutre et virait au jaune quand il était acide. L'encadrement peut également acidifier un papier non acide par simple contact. Je pense surtout aux sous-verres qui proposent des plaques d'Isorel pour appliquer les originaux sur le verre. Il faut placer une feuille tampon imperméable entre les deux éléments pour limiter les dégats.

Depuis que je peins sur toile, j'ai également dû me poser la question de la pérennité des couleurs et du support. J'utilise la toile de lin qui a fait ses preuves depuis plusieurs milliers d'années puisque les égyptiens l'utilisaient dans la fabrication des momies, et la peinture acrylique qui, bien qu'on ait assez peu de recul, semble beaucoup plus stable que l'huile face à l'oxydation et au rayonnement ultraviolet. D'où la nécessité d'utiliser un vernis pour protéger la matière picturale de la poussière, de l'humidité et de la lumière.

Pour en savoir plus, je vous conseille de lire le "métier du peintre" par Pierre Garcia chez Dessain et Tolra et le "manuel de restauration des tableaux" de Knut Nicolaus chez Könemann. Vous pouvez consulter également le site de Golden qui est un modèle dont devrait s'inspirer bien des marques françaises prestigieuses.

11 commentaires:

Saturne Mezzasalma a dit…

Merci beaucoup pour ces précieux conseils Hubert, même si j'en connaissais déjà une bonne majorité, ayant un papa peintre dont j'ai hérité des meilleures techniques :)

Bien à toi et belle continuation !
Saturne

FreZ a dit…

Merci pour ces infos.
La problématique de la conservation se retrouve partout : pour les tirages, tu l'as évoqué, mais aussi pour les fichiers numériques eux-mêmes. Là, les solutions de conservation varient un peu des tiennes :-)

(y a blogger qui insinue des choses en latin : code "anculae" :) )

Hubert de Lartigue a dit…

Saturne, Merci à toi de me répondre ici. J'ai vu que tu utilisais des Colorex pour tes originaux ce qui m'inquiétait car contrairement aux Colorex Technic, qui sont pigmentées et waterproof, les Colorex sont très sensibles à la lumière. J'en ai fait l'amère expérience dans ma jeunesse. Je ne comprends pas pourquoi des marques comme Écoline ou Colorex, continuent de produire de telles encres. D'accord, ils préviennent de leur fragilité mais j'imagine que les progrès de la chimie auraient pu résoudre ce problème depuis longtemps. Il ne faut plus les utiliser.
Frez, les tirages ont fait d'énormes progrès dans la fidélité de reproduction et la conservation. Par contre, je n'ai pas compris le sens de la dernière phrase entre parenthèses... :)

Anonyme a dit…

Salut Hubert,
Ce poblème est assez généralisé en art, les jeunes artistes qui sortent des écoles (et mêmes des plus grandes) sont d'ailleurs très désinvoltes sur ces sujets. Et même certaines des plus grandes oeuvres d'art contemporains coûteront des fortunes en restauration très rapidement (avant la mort du propriétaire en tout cas). Merci pour les infos, je trouve les aspects toujours passionnant (l'envers du décors).

Tchaw
Florent alias flo con

Hubert de Lartigue a dit…

Cela me rappelle "Barbe Bleue" de Kurt Vonnegut. Le narrateur était un peintre contemporain et ami de Pollok et d'autres expressionnistes américains, qui a vu son œuvre disparaître du jour au lendemain de tous les musées du monde car il avait employé à l'époque une peinture acrylique nouvelle, réputée pour sa longévité, et qui vingt ans plus tard, s'est détachée de toutes ses toiles en même temps. Un livre magnifique par ailleurs. L'histoire d'un illustrateur qui devient peintre abstrait pour redevenir peintre réaliste des années plus tard.

Calamity a dit…

Hubert > pour la remarque de Frez, j'imagine qu'il fait allusion aux fichiers numériques gravés sur des CD/DVD ROM, qui s'effacent au bout de quelques années... Beaucoup de gens ne le savent pas, et personne n'informe le grand public...

bertrand a dit…

Article nécessaire !
Et oui, l'encre Colorex, nous en avons parlé, est une rare cochonnerie. Et à côté, le stylo à bille (Bic ?) vieillit bien, même au soleil.

Hubert de Lartigue a dit…

T'es sûr? Il vaut mieux faire des essais...

Anonyme a dit…

Très intéressante comme note. Avec cette obsession de la survie en toile de fond (avec jeu de mots) - au demeurant parfaitement justifiée. Et l'idée d'utiliser la mort (le lin des momies) pour repousser celle-ci (la disparition de la toile) n'est pas pour me déplaire.
Merci pour ton regard d'expert... et heureux d'apprendre que mon choix pour les stylo Pilot est idéal.

FreZ a dit…

Hubert > je me contentais de rapporter le code que blogger (blogspot) me demandait de taper pour valider mon commentaire.

Hubert de Lartigue a dit…

Deux articles sur le blog de James Gurney, le créateur de Dinotopia, à propos de la fragilités des encres à la lumière:

http://gurneyjourney.blogspot.com/2010/04/lightfastness-markers.html

http://gurneyjourney.blogspot.com/2010/04/lightfastness-part-1-of-6.html

Un blog passionnant que je vous recommande.